«D’où viens-tu?», une question pas si simple

«D’où viens-tu?», une question pas si simple
06/25/2019 Élise Madé

« D’où viens-tu? » C’est pas mal la première question que l’on pose à quelqu’un en voyage.

Avant toute chose, on a besoin de savoir d’où vient l’autre. C’est une interrogation toute naturelle, prioritaire aux autres questions logiques comme « Que fais-tu dans la vie? » et « Pourquoi es-tu ici? ». Ces questions générales sont essentielles pour tenter de dresser un portrait grossier de cet autre que l’on tente de connaître.

Ces questions sont quand même loin d’être banales, quand on y pense.

Dire d’où l’on vient, c’est exprimer à l’autre, avec un seul mot, soit le nom notre pays, une partie de notre bagage culturel.

Dire ce que l’on fait, c’est dévoiler une partie de notre personnalité, de nos intérêts, de nos forces.

Dire pourquoi on est là et où on veut aller, c’est expliquer notre plan de voyage, voire notre plan de vie.

« D’où viens-tu? », « Que fais-tu? » et « Où vas-tu? »… Ça peut devenir vertigineux d’y répondre avec justesse, pas juste à la va-vite pour s’en débarrasser.

Et c’est ça qui est beau de voyager; on sort de chez soi pour être confronté encore plus à notre identité.

Des trois questions, c’est la première que je trouve la plus intéressante. Demander à quelqu’un d’où il vient, c’est d’abord et avant tout insinuer qu’il vient d’ailleurs.

Quand j’étais aux États-Unis, le simple fait d’ouvrir la bouche m’enlevait toute possibilité de passer incognito. Mon accent de Québécoise qui parle anglais 1 fois par année me trahissait. Même un caissier dans une station-service pouvait me demander, à peine quelques secondes après avoir répondu à son « How are you today? », d’où je venais. On s’empressait toujours assez rapidement de me signifier que j’étais une étrangère.

« Where are you from? »

L’affaire, c’est que ce n’est pas si facile que ça, pour moi, d’y répondre.

Et même pas parce que j’aurais pu avoir un parcours de vie atypique qui m’aurait porté au gré du vent aux quatre coins de la planète! Eh non, même pas! Je suis simplement une Montréalaise qui n’a jamais quitté son île. C’est simple.

Mais non.

Parce qu’en face de l’étranger, je dois me définir correctement. C’est important pour moi.

C’est pas nouveau, les Québécois, on est tous des Elvis Gratton. La fameuse réplique du « Canadien québécois, Français canadien-français, un Américain du Nord français, un francophone québécois canadien, un Québécois d’expression canadienne française française…» n’est pas si farfelue que ça.

Moi-même, j’ai testé plusieurs réponses en voyage.

J’ai essayé « Montreal », mais les gens savaient c’était où une fois sur trois. Alors j’ai élargi.

« Quebec »; mais là, c’était confondant par rapport à la ville de Québec, ou encore, on n’avait aucune idée c’était où dans le monde. Bon, pas le choix d’élargir encore plus.

« Canada »; ah, là, tu ne peux pas te tromper. Mais il faut que ça vienne avec une explication, sinon, la réponse ne semble pas tout à fait juste. « Oui, mais la partie française du Canada! » Et avec si possible un court résumé historique pour ceux qui en auraient besoin.

Tout ça, prononcé clairement avec mon accent, bien sûr.

***

Une amie de voyage rencontrée au magnifique Parc national de Yosemite en Californie viendra prochainement passer quelques jours à Montréal dans sa grande exploration des provinces canadiennes et de quelques États américains.

Au moment d’arriver à Montréal, elle aura longuement exploré les provinces de l’Ouest. Ironiquement, elle en saura bien plus que moi sur cette partie de « mon » pays qui m’est totalement étranger.

Une partie de moi ne peut s’empêcher de se demander si une ville comme Montréal pourra être à la hauteur de cet éden montagneux, aux paysages à couper le souffle.

Lorsque je lui ferai faire le tour de la ville, ma ville, aurais-je honte de nos cônes oranges, de notre trafic, de notre architecture bigarrée?

Peut-être. Sûrement.

Mais je tenterai de lui faire ressentir ce que moi, j’ai ressenti après avoir remis les pieds chez moi à mon retour de voyage. Cette belle et immense dose d’émerveillement envers ses parcelles de nature, son effervescence estivale, ses œuvres à ciel ouvert… Sa beauté, quand il suffit de regarder à la bonne place.

Je serai fière de lui montrer mon chez-moi, cette partie de moi pas toujours facile à définir. Mais infiniment plus belle par sa complexité.

Couleur préférée: bleu.